Le Conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation de la Martinique organisait, le 6 octobre dernier à Fort-de-France, un débat citoyen sur le thème « Les inégalités au sein de la société martiniquaise ». L’occasion avant tout de rappeler que ces inégalités sont disparates et que les conséquences sont multiples.

« Comment rallier autour d’un objectif commun une population traversée par des fractures aussi profondes ? Comment établir un lien de confiance entre ceux d’en bas qui croupissent dans la précarité et des élites incapables de répondre à leurs attentes légitimes ? Comment combattre l’effet délétère des inégalités sur la cohésion sociale ? Comment faire peuple, enfin ? » C’est autour de ces questions que le CESECEM, le Conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l’éducation de la Martinique organisait, le 6 octobre dernier à Fort-de-France, un débat citoyen sur le thème « Les inégalités au sein de la société martiniquaise ». « Un moment d’échange et de propositions avec le public » commentait le CESECEM sur sa page Facebook le 10 octobre, avant d’annoncer qu’un deuxième débat était prévu le 9 novembre prochain sur l’enjeu institutionnel. « Fort de ces deux débats, un rapport sera remis aux décideurs politiques » prévoit-il.

Engager des échanges citoyens sur des thèmes qui concernent tant que le quotidien que l’avenir de la Martinique et des Martiniquais, c’est, considère le CESECEM, être fidèle à la vocation qu’il s’est donnée : informer, proposer, agir. « Nous sommes convaincus que la recherche de solutions aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés ne doit pas être cantonnée aux cabinets d’experts ou aux assemblées d’élus. Il importe que la population soit tenue informée et puisse s’exprimer dans le cours de l’élaboration des politiques dont elle est la cible. Son adhésion, voire sa mobilisation sont des ingrédients nécessaires à la mise en œuvre efficace d’un projet de société ». C’est ainsi qu’il explique la forme. Quant au fond, la réflexion qu’il a menée dans le cadre de ses commissions de travail, l’a conduit à considérer « que les inégalités sont à la racine des problèmes économiques et sociaux de notre territoire ; que la lutte contre les inégalités doit être le crible au travers duquel les politiques publiques de tous ordres sont évaluées ». En amont du débat, le CESECEM dressait un état des lieux des inégalités en Martinique, dont il constate une double nature. Tout d’abord, vis-à-vis de l’Hexagone : « le revenu médian (celui qui partage la population en deux groupes d’effectif égal) est supérieur de 16,7 %, en 2020, dans l’hexagone. L’écart est d’autant plus élevé que les revenus sont bas : les 30 % les moins favorisés de l’hexagone ont un revenu disponible supérieur de plus du quart à celui de leurs homologues martiniquais ». Et d’expliquer ensuite que l’écart décroît quand le revenu progresse : il n’est plus que de 6% pour les 20% les plus aisés. « Il ne s’agit là que de revenus monétaires. En tenant compte du différentiel de prix, plus élevé en  2022, selon l’Insee, de 13,8% en Martinique, l’écart de pouvoir d’achat est de l’ordre de 30% pour le revenu médian et de 35% pour les moins favorisés ». Pour le CESECEM ce qui est en cause ici, c’est l’échec de la promesse d’égalité de la loi de départementalisation de 1946, promesse que réitérait la loi du 28 février 2017 de programmation de l’égalité réelle outre-mer. « C’est aussi le profond sentiment d’injustice ressenti par la population dans sa dénonciation d’une « pwo- fitasion » dont les responsables, pour autant qu’ils soient désignés, semblent appartenir tant à la sphère des autorités politiques et administratives qu’à celles des groupes privés du commerce et de la finance » renchérit-il .

Ces inégalités sont également disparates sur le territoire même de la Martinique. « En termes monétaires, elles sont considérables : les 20 % les plus aisés de la population disposent de 41 % de la masse totale des niveaux de vie, 5,7 fois plus (près de 6 fois plus) que les 20% les moins favorisés » souligne le CESECEM. Une approche complémentaire des inégalités repose sur l’indicateur de privations matérielles et sociales de l’Union européenne qui donne la pro- portion de personnes incapables de couvrir les dépenses liées à 5 des 13 élément jugés nécessaires à une vie décente . Il y a privation sévère lorsque 7 éléments sont concernés. Ainsi, la grande pauvreté est celle de personnes cumulant pauvreté monétaire (moins de 60% du revenu médian, 1 063€ en 2018) et des privations matérielles et sociales sévères. Ceci concerne 10,49 % de la population en Martinique contre 2,1 % dans l’Hexagone. La privation sévère seule concerne 9,57 % de la population en Martinique contre 4,8 % dans l’Hexagone. Enfin, la pauvreté monétaire seule concerne 17,29 % de la population en Martinique contre 4,6 % dans l’Hexagone. « Au total, la pauvreté concernait plus de 37% de la population martiniquaise en 2018. A relever que 17% des enquêtés seulement déclarent ne souffrir d’aucune privation contre 53% dans l’hexagone » souligne le CESECEM qui identifie trois groupes, particulièrement touchés : les chômeurs, les moins de 30 ans et les familles mo- noparentales où les taux de pauvreté monétaire sont respectivement de 53, de 45 et de 41%. Ces inégalités sont disparates au sein même du territoire : Cap Nord abrite les communes les plus pauvres de l’île ; plus du tiers des habitant y vivent sous le seuil de pauvreté. Dans le Sud, Vauclin, Rivière-Pilote, Le Marin, Sainte-Anne, Anses d’Arlets comptent 30% de pauvres . Case-Pilote et Schoelcher sont les communes où le revenu médian est le plus élevé et le taux de pauvreté le plus faible (19 et 18%) ; elles sont suivies par Ducos et les Trois-Ilets puis Le Lamentin, Saint-Joseph, Diamant, Sainte-Luce, Carbet et le Morne-Vert.

Le CESECEM considère que l’impact de ces inégalités est triple. D’une part, il souligne le caractère autoreproducteur des inégalités. « Dans le contexte actuel, les enfants des pauvres sont majoritairement condamnés à être pauvres, à reproduire la situation inégalitaire dont ils sont les victimes ». D’autre part,  « résultats médiocres de notre appareil de formation et crise démographique se conjuguent pour nous installer dans l’inquiétant paradoxe de la coexistence d’un chômage élevé et de pénuries sectorielles de main-d’œuvre. C’est que l’hémorragie migratoire laisse sur place la partie la moins qualifiée et la moins employable de la jeunesse, incapable, donc, de répondre aux besoins des entreprises ». Enfin, les inégalités enferment, une moitié de la population dans une sous-consommation préjudiciable à la croissance économique et aux entreprises de production locales.