Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer ouvraient le 26 mars dernier la première édition de la journée « Justice outre-mer » en présence des représentants des territoires ultramarins issus de toutes les directions du ministère de la Justice. À l’occasion de cet événement inédit, le ministre a présenté sa feuille de route pour une justice plus rapide et plus accessible en Outre-mer.

« Avec @GDarmanin, nous ouvrirons ce matin au ministère de la justice la première journée spécialement consacrée à la justice en Outre-mer. Immobilier, recrutement, numérique : notre mobilisation est totale pour que la justice soit au rendez-vous des défis ultramarins » twittait Eric Dupont-Moretti le 26 mars dernier.

Le garde des Sceaux et le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer ouvraient en effet ce jour-là, la première édition de la journée « Justice outre-mer » en présence des représentants des territoires ultramarins issus de toutes les directions du ministère de la Justice. À l’occasion de cet événement inédit, le ministre a présenté sa feuille de route pour une justice plus rapide et plus accessible en Outre-mer. Cette feuille de route suit trois axes forts : l’amélioration des conditions de travail au quotidien pour les agents, un meilleur accès à la justice pour les justiciables et la prise en compte des spécificités ultramarines dans l’organisation de la justice au quotidien.

Améliorer les conditions de travail

« L’Outre-mer représente 5 % des augmentations massives d’effectifs prévues dans la loi d’orientation et de programmation 2023-2027, qui pérennise les hausses de moyens pour renforcer le service public de la justice. Concrètement, cela représente dans les Outre-mer 68 magistrats, 76 greffiers et 44 attachés de justice supplémentaires » indique le ministère de la Justice.

Il rappelle également que 7% des nouvelles places de prison prévues dans le « plan 15 000 », soit 1 100 places, ont été ouvertes dans les territoires ultramarins. Ce programme de construction de 15 000 places nettes de prison d’ici à 2027 vise à garantir l’effectivité de la réponse pénale, des conditions de détention dignes ainsi que de meilleures conditions de travail au personnel pénitentiaire.

« L’amélioration des conditions de travail est aussi technique, informatique ou encore immobilière » conçoit le ministère. Dix recrutements sur 12 prévus de techniciens informatiques de proximité, facilitateurs du quotidien, sont déjà intervenus. Localement, des coordonnateurs du secrétariat général ont été installés ces deux dernières années dans l’océan Indien, en Guyane et dans les Antilles.

Améliorer l’accès au droit

« Le terme « accès au droit » désigne le fait de pouvoir connaître et faire valoir ses droits et obligations, d’être aidé dans ses démarches juridiques » précise le ministère de la Justice.

Et d’informer qu’un conseil de l’accès au droit (CAD) a notamment été créé en 2022 en Polynésie et à Saint-Pierre-et-Miquelon et en 2023 en Nouvelle-Calédonie. Les CAD identifient les besoins et définissent une politique locale, assurant la gestion des point-justice, lieux d’accueil et d’information du public. A titre d’exemple, La Réunion compte désormais 30 point-justice.

Prendre en compte les spécificités locales

Des dispositifs ont été mis en place pour améliorer l’attractivité de certains territoires : « les brigades de soutien inaugurées début 2023 apportent une réponse efficace aux difficultés de recrutements que connaissent Mayotte ou la Guyane » considère le ministère pour qui le fait que plusieurs « brigadiers » aient décidé de rester sur place constitue la preuve ultime de la réussite du dispositif. 

La lutte contre les stupéfiants et les trafics dans l’arc Antilles Guyane est renforcée : la juridiction interrégionale spécialisée de Fort de France a été considérablement renforcée et un magistrat de liaison prendra ses fonctions en septembre à Sainte Lucie, afin d’améliorer la coopération avec les territoires voisins.

D’autres actions sont plus spécifiques à certains territoires, comme la lutte contre l’orpaillage illégal en Guyane, priorité dans la suite de la visite du déplacement récent du Président de la République au mois de mars 2024.

« Un travail précis est désormais réalisé pour que les personnes qui viennent travailler en outre-mer aient conscience des enjeux locaux, grâce notamment à de nombreuses formations préalables ou à l’arrivée sur poste » conclut le ministère.

« Ne pas confondre Égalité et Uniformité »

Patrick Lingibé, avocat, membre du conseil national des barreaux, ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de Guyane, et depuis février 2023, membre du Conseil national de l’aide juridique, remerciait le garde des sceaux pour avoir retenu l’idée d’organiser cette journée outre-mer. « Cet événement est inédit pour la justice ultramarine qui a bien besoin d’une réflexion profonde. Ne pas confondre égalité et uniformité est essentiel. En effet, comme je l’ai écrit et dit à plusieurs reprises à force de rechercher une uniformité dans l’application de l’égalité on aboutit à des égalités inversées qui sont des inégalités, alors même que la jurisprudence constitutionnelle, administrative et celle de la cour de justice insistent sur une différentiation trouvant son fondement dans l’égalité lorsque l’on est confronté à deux situations différentes. Autrement dit, l’égalité c’est aussi l’application d’un traitement différencié lorsque les situations ne sont pas comparables. Coller à la réalité du terrain ultramarin c’est avant tout apporter des réponses aux besoins concrets des citoyens et justiciables vivant dans chacun des outre-mer. Il était essentiel d’ouvrir ce débat et de pouvoir mettre sans aucune dérobade des mots sur les maux qui aboutissent à rendre imperceptibles et illisibles les valeurs que la République porte » twittait-il le 22 mars, quelques jours avant l’ouverture de cette journée.

Le 26 mars, il est intervenu lors de cette Journée. « Cette manifestation fait partie de la proposition d’organisation des états généraux de la justice outre-mer que j’ai formulée dans un article publié le 24 janvier 2023 intitulé « Une justice ultramarine en état de grande pauvreté : que faire après le rapport Sauvé ? » Le prisme républicain ne doit pas confondre Égalité et Uniformité » a-t-il alors commenté toujours sur le réseau social X.

« L’institution judiciaire doit inspirer confiance aux justiciables et citoyens ultramarins. Or, les statistiques démontrent au contraire qu’il y a une certaine défiance en outre-mer, laquelle est aggravée par un arrière-fond sociétal de désespérance : le taux de pauvreté et de cherté de vie est 4 à 8 fois supérieurs à celui de l’hexagone. Non seulement en outre-mer on est plus pauvre mais le coût de la vie est plus élevé qu’en France hexagonale. Ainsi, selon un sondage réalisé en 2021 par le cabinet ODOXA pour le Conseil national des barreaux intégrant pour la première fois l’outre-mer, plus de 58 % des Ultramarins indiquent qu’il est difficile de faire valoir leurs droits là où ils habitent alors que ce chiffre n’est que de 37 % pour les hexagonaux. De même, 84 % des Ultramarins ont le sentiment que les libertés et les droits fondamentaux ont reculé. Ces chiffres font écho à un constat que faisait le 21 novembre 2019 devant la délégation sénatoriale aux outre-mer l’ancien défenseur des droits Jacques Toubon : « on a le sentiment qu’à beaucoup d’égards les habitants des départements et territoires d’outre-mer n’ont pas le même accès au droit. Ils ont un accès au droit inférieur à ce qui existe en métropole ». Cette problématique qui n’est pourtant pas nouvelle puisque j’en parlais déjà en 2015 au Conseil national des barreaux sans qu’aucune suite ne soit donnée au niveau du ministère de la Justice » déclarait-il par ailleurs lors d’une interview accordée au site Actu-juridique.fr et publiée le 20 mars dernier, sur lequel il publie régulièrement des articles. « Le Droit est considéré par un certain nombre comme un Luxe, les préoccupations quotidiennes prenant le dessus. C’est d’ailleurs ce qui doit expliquer que l’aide juridictionnelle est davantage utilisée en outre-mer pour se défendre que pour faire valoir ses droits, contrairement à ce qui se passe dans l’hexagone » avance-t-il un peu plus loin dans cette interview.

Dans sa série d’articles Me Patrick Lingibé a formulé dix-huit propositions pour sauver la justice ultramarine. Parmi ces dernières, il explique que la plus urgente est de penser le paradigme Outre-mer au sein de la Chancellerie. « Cela doit passer par la création d’une véritable direction transversale entièrement dédiée à l’outre-mer. Il ne s’agit de faire ici de la discrimination mais d’avoir une direction qui cerne en temps réel les réalités singulières ultramarines qui n’existent pas dans l’hexagone. En effet, affecter un magistrat, un greffier ou un personnel de justice en outre-mer n’est aucunement comparable à une affectation faite dans l’hexagone. Les codes, l’environnement notamment sont différents. De plus, l’expérience démontre très clairement que si la Chancellerie affecte des personnes inexpérimentées en outre-mer, cela se termine par des problèmes et on court à l’échec. Une direction outre-mer justice travaillant au besoin avec le ministère des outre-mer permettrait réellement d’avoir une politique ciblée et efficace à l’égard des justiciables de chaque territoire ultramarin ».